21 Jan Finale de la coupe de la Ligue. Fumigènes dans le métro à la gare de Lille : supporters guingampais relaxés
Le 21 janvier 2020, des supporters guingampais étaient poursuivis pour avoir, lors de la finale de la coupe de la Ligue à LILLE (59), le 30 mars 2019, exposé directement autrui à un risque immédiat de mort ou d’infirmité permanente, par violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité prévue par la loi ou le règlement.
Avant le coup d’envoi du match Strasbourg-Guingamp, une dizaine de rames avaient été immobilisées pendant une heure suite à l’utilisation de fumigènes.
La société exploitant le métro se constituait partie civile pour obtenir l’indemnisation de ses pertes d’exploitation.
Maître Jourdain-Demars plaidait et obtenait la relaxe.
Aux termes des dispositions de l’article 223-1 du Code pénal :
« Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »
L’élément matériel de l’infraction suppose de caractériser la violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité et l’exposition d’autrui à un risque d’une particulière gravité :
L’article 223-1 du Code pénal indique que l’obligation violée doit avoir pour fondement la loi ou le règlement.
Il convient de rappeler que le règlement s’entend au sens constitutionnel du terme, comme tout acte à caractère général et impersonnel émanant des autorités administratives (décret, arrêté préfectoral ou municipal).
Pour entrer en voie de condamnation du chef de risques causés à autrui, les juges doivent rechercher la loi ou le règlement édictant une obligation particulière de prudence ou de sécurité qui aurait été violée de façon manifestement délibérée (Crim., 22 septembre 2015, n° 14-84.355).
L’obligation violée doit être une obligation « particulière » de prudence ou de sécurité ; la norme violée doit imposer un comportement circonstancié, destiné à prévenir un état dangereux.
L’obligation doit donc être définie en des termes clairs et précis (l’obligation ne doit pas être générale).
Le texte doit interdire ou obliger de manière précise. Si la règle est impersonnelle et générale, elle ne peut pas donner lieu à une mise en danger. Par exemple, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé, par un arrêt rendu le 18 mars 2008, que la violation d’une règle de déontologie ne rentre pas dans le champ de l’infraction (Crim., 18 mars 2008, pourvoi n° 07-83067).
Le risque particulièrement grave est celui qui expose autrui à un risque de mort ou à des blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente.
Dès lors, le risque qui exposerait autrui à une blessure légère serait insuffisant à constituer l’infraction.
Pour être matérialisée, l’infraction doit qualifier un comportement distinct de la contravention qui y contribue le cas échéant (Crim. 16 décembre 2005, n° 15-80.916 ; Crim., 3 avril 2001 ; n° 00-85.546).
Il s’agit d’une appréciation in concreto à l’exclusion d’une appréciation in abstracto.
Une règlementation ne saurait à elle-seule suffire à caractériser que le non-respect des contraintes qui en relèvent créerait un risque immédiat pour autrui (T.corr. Péronne, 4 juillet 1995 : Gaz. Pal. 1996. 1, chron. Crim. 96).
S’agissant d’une infraction formelle, la seule exposition d’autrui à ce risque, suffit à caractériser l’infraction, indépendamment de sa réalisation.
Cependant, l’intention exigée par l’infraction volontaire de mise en danger d’autrui est celle de mettre autrui en danger, non celle d’enfreindre la règlementation, car sinon elle ne se distinguerait pas de l’intention de commettre la contravention au règlement spécialement punie de peines inférieures ; il faut donc que soient constatés et la présence de l’autrui mis en danger, et la connaissance par l’auteur de la présence d’autrui, et la volonté spéciale de l’auteur de le mettre en danger, c’est-à-dire la conscience qu’il sera nécessairement mis en danger par son comportement (Grenoble, 19 février 1999 : D. 1999. 480, note Redon ; ibid. 2000. Somm. 34, obs. Mayaud, JCP 1999. II. 10171, note Le Bas).
Le juge doit apprécier hypothétiquement la gravité et le degré de probabilité du risque auquel la victime a été exposée.
En l’espèce, la citation délivrée par le Ministère Public ne mentionnait pas l’obligation particulière de prudence ou de sécurité qui aurait fait l’objet d’une violation par le prévenu.
Il était laissé au Tribunal le soin de rechercher l’existence d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement dont la violation est susceptible de permettre la caractérisation du délit.
En l’absence d’identification des textes en cause, la mise en danger ne pouvait pas être qualifiée.
Interrogé le 2 octobre 2019, soit six mois après les faits reprochés, le prévenu indiquait avoir un vague souvenir d’avoir allumé des fumigènes dans les couloirs du métro : « deux ou trois » :
Aucune question ne lui était posée sur la configuration de l’environnement lorsque les fumigènes avaient été allumés.
Il ne lui a pas été demandé s’il se reconnaissait sur la vidéosurveillance.
A supposer qu’il s’agissait bien du prévenu, il ne lui était pas demandé s’il avait bien allumé le « pot de fumée » de couleur rouge apparaissant à proximité de lui.
Celle-ci était décrite comme « orange » selon les constations en vidéosurveillance (lesquelles ne donnent aucune indication sur les circonstances de l’allumage, et notamment si des personnes se trouvaient à proximité).
En tout état de cause, contrairement aux « feux à main », les « pots de fumée » ont la particularité de se poser au sol pour diffuser une fumée dense et lumineuse, durant plusieurs minutes.
Ils présentent une dangerosité moindre.
Il n’était pas démontré :
– Que des personnes se trouvaient à proximité du prévenu lors de l’allumage des fumigènes, qu’il reconnaît avoir allumé ce jour-là, sans donner davantage de précisions,
– Que les éventuelles personnes à proximité du prévenu auraient subi un risque,
– Dans quelle catégorie s’inscrivaient les fumigènes qu’il reconnaissait avoir allumé ? (« faux à main» ou « pot de fumée » ; si le fumigène est noté F2, cette distance sera d’environ huit mètres. S’il est noté F3 elle peut aller jusqu’à 25 mètres. Les catégories supérieures sont réservées aux personnes ayant des connaissances spécifiques en la matière (F4) et aux spectacles pyrotechniques (T1 et T2).
Le risque particulièrement grave est celui qui expose autrui à un risque de mort ou à des blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente.
Or, la seule utilisation des fumigènes, sans précision sur les circonstances lors de l’allumage, ne peut à elle-seule caractériser l’exposition d’autrui à un risque d’une particulière gravité.
Il ne pouvait être considéré que l’utilisation d’un fumigène serait intrinséquement dangereuse.
Dans ce cas-là, pourquoi une mission d’information sur « le régime des interdictions de stade et le supporteurisme » préconise-t-elle d’autoriser l’usage des fumigènes dans le stade de football ? (Rapport présenté le 13 mai 2020 à l’Assemblée Nationale par les députés Sacha Houlié (LREM) et Marie-George Buffet (PC) qui en seront les rapporteurs).
Le rapport souligne en effet « qu’à ce jour, les tribunes de nos stades demeurent l’un des plus grands vecteurs de mixité sociale de notre pays. […] Aussi, la première des responsabilités des autorités est de reconnaître en tant que telle la richesse culturelle et sociale de ce foisonnement et de lui accorder, sous conditions, sa confiance. »
La violation de l’obligation n’étant pas démontrée et l’existence d’un risque grave n’étant pas établie in concreto, la relaxe du prévenu, supporter guigampais, était obtenue.